Syrinx, la flèche de la vengeance (validée)

Il était tard le soir, et la citée dormait autour d’elle. Seul quelques esclaves travaillaient encore à leur tâche pénible et émettaient des sons disgracieux dans le silence velouté de l’air nocturne. Elle était allongée depuis plusieurs heures, et son ventre bien rond se voyait à travers les tissus du lit conjugal. A ses côtés, l’elfe noir nommé Fletcher dormait paisiblement. Elle, au contraire, n’avait pu fermer l’œil et se tenait là, immobile comme une statue à réfléchir. Dans Tripania, la nuit ne tombait jamais vraiment, et une pâle clarté envahissait encore la pièce lorsqu’elle se leva et se dirigea vers la porte. A mi-chemin, une douleur au ventre la stoppa net et elle se figea.

Au bout de quelques minutes, elle se détendit, mais une autre douleur la frappa, puis d’autres, de plus en plus rapprochées. Elle appela doucement Fletcher, sachant ce que cela signifiait : le travail commençait. Les heures passent, et un cri déchire soudain le voile assourdissant de la nuit. Une petite elfe noire est née dans la citée, comme la grande majorité des autres. La mère prend le nourrisson dans ses bras et, avant de sombrer dans un sommeil réparateur, la nomme dans un murmure quasi inaudible : « Syrinx »

Ce même jour, la Lune était pleine et brillante à l’extérieur où un cri presque identique retentit au milieu des arbres. C’était une autre naissance, celle d’un elfe noire qui suivrait une voie bien différente, mais les deux voies se croiseraient en bien des occasions.

L’enfance de Syrinx se passa entre sa maison et le temple de Daïa où officiait Fletcher, membre éminent de ce clergé. Elle fut formée par ces mêmes religieux qui, bien des années auparavant, avaient mené les membres de cette race à la bataille qui mit fin à leurs ambitions. Non pas directement, mais par l’influence qu’ils exerçaient sur leurs esprits. Elle apprit donc à offrir des sacrifices rituels à Daïa chaque semaine, à vouer une haine farouche aux autres races et aux traîtres elfes noirs. Mais, si son éducation s’était arrêtée là, son histoire ne nous intéresserait pas.

C’est peu après la sortie de l’enfance qu’elle connut autre chose que le temple. Syrinx rêvait à la fois de liberté pour elle, mais aussi pour son peuple, confiné depuis si longtemps dans cette citée souterraine : elle rêvait de la domination de Dracosh par sa race. Elle chercha donc à atteindre ce but si éloigné, preuve d’une ambition et d’une folie grandissantes. Ses pas la guidèrent dans la caserne la plus proche. Elle n’avait alors que treize ans. Elle apprit rapidement à se battre à la dague, domaine dans lequel elle devint une experte, mais son vrai talent était d’être une archère hors pair.

Bientôt, elle intégra l’armée régulière de Tripania, terminant toutes ses missions, qu’elles soient basiques ou d’envergure, avec brio. Ses résultats auraient dut l’amener à un grade élevé, mais le destin en décida autrement. C’était une journée ordinaire, elle était au camp d’entraînement avec les autres membres de sa compagnie lorsque qu’un elfe noir habillé d’une étrange façon pénétra dans l’enceinte du bâtiment. De loin, on ne voyait pratiquement rien de lui : aucun insigne, aucune arme visible et des vêtements couvrant la totalité de son corps, mis à part sa tête. Il avait les cheveux longs regroupés en une queue de cheval noir ébène, des oreilles plus longues et effilées que la moyenne et un visage qui respirait la puissance.

Il se dirigea droit vers elle pour lui donner une simple enveloppe, puis repartit aussi rapidement qu’il était apparu. L’enveloppe ne contenait que ces quelques mots :
« La Lune d’Argent vous a choisi. Si vous souhaitez nous rejoindre, présentez-vous au coucher du soleil devant le temple de votre père »
Syrinx n’avait aucune idée de ce qu’était cette organisation, mais la façon dont le message était tourné montrait clairement que c’était quelque chose d’imposant.

Elle prit la décision d’aller au rendez-vous, et ce simple fait changea sa vie à tout jamais. Ce soir-là, trois elfes noirs au visage cachés l’ « accueillirent » et l’emmenèrent devant le chef de l’organisation. Celui-ci avait aussi son visage caché. Il parla d’une voie forte et autoritaire.

« Par ta simple venue, tu fais désormais partie intégrante de la Lune d’Argent. Tu as déjà fait tes preuves au combat, nous ne te testerons pas dans ce domaine. Syrinx, voici tes nouveaux habits. Ils ne te quitteront plus jusqu’à ta mort. Si tu nous trahis, la sentence sera la mort. Enfin, je vais t’expliquer ce qu’est la Lune d’Argent. Il s’agit d’une organisation dont les hautes sphères de la citée ont le contrôle, notamment notre souverain et le conseil des anciens. Pour résumer, ton rôle sera de préparer l’avènement du règne de notre race à l’extérieur. »

Il se tut quelques instants avant de reprendre d’une voie solennelle : « J’ai ici ton premier ordre de mission, donné directement par les anciens. Tu te rappelles sans doute du procès de Fly, le traître à sa race. Son évasion est encore secrète, mais nous sommes chargés de le ramener mort ou vif. Tu sortiras donc de la citée pour le traquer, où qu’il aille et le ramener devant le conseil. Sur ta route, tu devras appliquer cet ordre subsidiaire : tues tous les héros des autres peuples, tous ceux dont la rumeur colporte les exploits de guerre ou d’artisanats, voir même tous ceux dont la rumeur parle. Maintenant, va et accomplit ton devoir Syrinx pour l’avènement prochain de l’hégémonie des elfes noirs».

Sur ces mots, elle fut menée vers les portes où on lui remit son équipement composé d’un arc avec flèches, de deux dagues et d’un long manteau dont les ombres magiques camouflaient tout ce qu’il contenait. Une fois dehors, elle se précipita sur les traces du fugitif, bien décidée à remplir ses missions car elles mèneraient sans doute à la suprématie des elfes noirs. Depuis, son chemin est pavé de cadavres offerts à la gloire de Daïa et à la Lune d’Argent.